PubGazetteHaiti202005

Réouverture des Classes: Entre insécurité et soucis économiques, parents et élèves face à une rentrée incertaine

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A quelques jours de la réouverture des classes pour l’année académique 2019-2020 soit le 21 septembre prochain pour les départements non-touchés par le séisme, la fièvre de la rentrée est moins visible que d’habitude. La production des «  tailleurs » (Bòs Tayè) chute, les vendeurs d’accessoires scolaires s’inquiètent, les parents préoccupés sont dans le plus profond désarroi, les élèves, quant à eux, sont pessimistes. Un véritable flou enveloppe la réouverture des classes. La radiographie peint un tableau sombre. D’un autre côté, dans le grand Sud, la date fatidique du 4 octobre arrive. Cependant, la  réalité sur le terrain contrarie les espoirs.

 

Il y de cela deux semaines, le gouvernement haïtien avait reporté la rentrée des classes  mettant en avant les difficultés socio-économiques des parents, ajouté à des dizaines de milliers de bâtiments qui ont été détruits parmi lesquels un nombre important d’établissements scolaires dans le grand Sud après le passage du tremblement de terre du 14 août dernier. A quelques heures de la réouverture des classes pour les départements non-affectés par le séisme, le constat est accablant.

 

« Tailleurs » ( Bòs Tayè) et commerçants inquiets

 

A carrefour, une commune située du département de l'Ouest réside « Boss Jak » un « tailleur » d’uniforme scolaire réputé pour la qualité et la quantité de service qu’il offre chaque année dans la communauté. « Il coud pour plusieurs collèges dont Catherine Flon, le Collège de Côte-Plage et le collège mixte Eddy Pascal », nous lâche un client venu chercher l’uniforme de son enfant. Du haut de sa cinquantaine, « Boss Jak » fait ce métier depuis plus de 30 ans. Cette année, pour lui, ne présage rien de bon. « Je n’arrive pas à comprendre. Je reçois d’habitude plus de clients », affirme le couturier avec l’estomac noué, révélant avoir même dû mettre à pied certains de ses collaborateurs pour faire face à la chute vertigineuse des demandes.

 

La situation n’est pas seulement pénible pour les « Bòs Tayè », les vendeurs d’accessoires scolaires connaissent le même sort. Jacqueline déambule au quotidien avec une cuvette de marchandises comportant cahiers, boîtes de géométrie, stylos, crayons, etc, mais la vente est rarement au rendez-vous, selon ses dires. « Le plus souvent, je rentre avec la même quantité chez moi », s’alarme la jeune femme se disant inquiète d’avoir investi son argent en achetant ces matériels scolaires pour revendre. « Je vais chercher d’autres endroits pour espérer écouler mes produits », dit-elle.

 

A ce stade de la rentrée des classes, les gangs armés n’ont pas chômé, ni observé de trêve. A Martissant, région par où il faut passer pour atteindre 4 départements du pays (Grand’Anse, Sud, Nippes et Sud’Est), la situation va de mal en pis. Exactions des bandits sans foi ni loi, la symphonie des
armes automatiques, cas de kidnapping à répétition, Martissant se conjugue depuis belle lurette et jusqu’à présent au temps de martyr et de sang (Martyr-Sang) alors qu’il comporte deux écoles nationales. L’école nationale de la République de Nicaragua et la République du Pérou, logeant à la 5e avenue Bolosse.

A l’autre bout de la capitale, la situation dégénère. Depuis 3 jours, les habitants de la Croix-des-bouquets, vivant sous le diktat du gang « 400 mawozo », ne savent pas à quel saint se vouer. A Pétion-ville, en ce moment, le soleil se lève et se couche sous le crépitement d’armes automatiques. 

 
Parents et élèves face aux difficultés économiques et le phénomène de l’insécurité 

 

Au cœur du marasme politique et économique dans lequel se trouve le pays figurent les parents, qui doivent jouer pieds et mains pour faciliter à leurs enfants le pain de l’instruction. Au regard de la situation, le pessimisme est à son comble chez Jean Robert, père de deux enfants. «Twal chè, inifòm tèt nèg, menm chosèt se pa pale », nous décrit Jean Robert appelant l’Etat à assumer ses responsabilités. « La réouverture des classes est impossible », affirme Jean Robert présentant l’insécurité comme principal obstacle. « lè yo kidnape timoun yo, kisa Leta pra l fè ? », se questionne Mr Robert.

 

« Je n’ai encore rien fait pour mes enfants à ce stade de la rentrée », lâche Junior Marcelin présentant sa situation économique précaire comme la principale raison. « Dans les grands pays, avant la rentrée des classes, le gouvernement supporte les parents. Ici ce n’est pas le cas », avance Marcelin se payant la tête des hommes et des femmes au pouvoir. 

Pour Maria Joseph, mère d’un enfant, le hic reste et demeure avant tout l’aspect économique. La jeune dame de 39 ans rapporte que l’école de son fils a augmenté l’écolage de 30 %. « Le père de mon fils vient tout juste de décéder et il était l’homme à tout faire de la famille », confie Mme Joseph d’un air triste visiblement abattue. Assurer l’écolage de son fils cette année représente un véritable casse-tête. « M pa konn sa pou m fè », avoue-t-elle.

 

Du côté des élèves, l’inquiétude est à son comble. Retrouver ses camarades, investir des salles de classe en ces temps de totale incertitude ne semble pas être pour demain. Jean Jude Elie, élève de NS3 (équivalent Rhéto) pense que la réouverture des classes de cette année demande à priori de sérieuses dispositions. « il faut que le gouvernement prenne des mesures pour sécuriser les écoles », exige le jeune homme qui s’attend à une année scolaire mouvementée au vu de ce qui se dessine bien avant la rentrée.

 

« Certains de mes camarades ne sont pas encore passés chez le tailleur pour la confection de leurs uniformes », rapporte Vanessa relatant le cri des élèves dans le pays qui précise qu’ils ne sont pas encore « prêts ». « Avant mes camarades se demandaient quand l’école rouvrira ses portes ? Là maintenant, c’est tout l’inverse », confie-t-elle.

 

Dans le grand sud, une rentrée scolaire impossible 

 

Environ deux semaines nous séparent de la réouverture des classes dans le grand Sud (Grand’Anse, Nippes et Sud) soit le 4 octobre en raison du passage du tremblement de terre du 14 août 2021, frappant de plein fouet cette région, décapitalisant les parents et endommageant ou détruisant des centaines d’établissements scolaires. Pour y faire face, le gouvernement avait ordonné le déblaiement des sites d’écoles frappés par le tremblement de terre. L’opération de déblaiement a déjà débuté dans des villes. Cependant, de grands travaux restent à faire. Des sites d’écoles effondrées dans les Cayes attendent toujours l’opération de déblaiement. Le ministère des travaux publics, transports et communication est à pied d’œuvre mais la charge est lourde à porter au vu des dégâts enregistrés. « Le gouvernement entend rouvrir les classes le 4 octobre mais pour nous dans le Sud, nous ne serons pas encore prêts », a déclaré la directrice départementale du MTPTC  dans le Sud citant plus de 45 écoles déjà déblayées dans le cadre des opérations. « Cette date peut être possible dans un autre département mais pas le Sud », estime-t-elle.

 

Dans le cadre de la réouverture des classes de cette année, le gouvernement haïtien dit entendre accompagner les parents, élèves et enseignants. En conférence de presse, la ministre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle avait promis monts et merveilles. « Nous allons parler avec les partenaires sur les programmes de subvention pour les parents, les programmes de cantine scolaire dans les écoles, de dons d’uniforme, d’appui psychologique pour les élèves et professeurs, de dons de livres pour les écoles publiques, de formations pour les professeurs », avait-elle affirmé.

Plus d’un mois après le passage du séisme, les habitants du grand Sud sont dans le désarroi, les victimes sont toujours en quête d’un toit décent pour cesser de « dormir à la belle étoile ». La rentrée scolaire est loin d’être pour eux une priorité. 

 

Crédit photo: Loop.Haïti 

 

Par : Daniel Zéphyr

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