
Dans les marches de l’Histoire, je fais partie de ceux qui ne prennent pas à la légère le discours du président français, Monsieur Emmanuel Macron, prononcé ce 17 avril 2025. C’est un pas historique, d’une ampleur inédite, aux résonances profondes. Car je me souviens encore — et je sais que je ne suis pas le seul — qu’il y a vingt ans à peine, évoquer cette page douloureuse du passé suffisait à faire détourner le regard des plus hautes autorités françaises. Ce sujet brûlant, chargé de vérités enfouies et de silences pesants, restait tabou.
Je me rappelle très précisément une scène marquante : le président Jacques Chirac, alors en conférence de presse à Nice, déclarant sans ciller qu’Haïti n’était pas, à proprement parler, une ancienne colonie française. Une phrase qui, pour beaucoup, a sonné comme un effacement, un déni, presqu’ une violence symbolique faite à la mémoire collective haïtienne et à l’Histoire elle-même.
Depuis, oui, nous avons fait du chemin. Ce chemin fut long, sinueux, semé d’embûches, et il ne s’est pas construit en un jour, ni uniquement depuis les hautes sphères du pouvoir. Avant même que le président de la République ne s’en saisisse officiellement, un patient et rigoureux travail de mémoire et de communication a été mené, souvent dans l’ombre, par des femmes et des hommes convaincus de la nécessité de réparer, de reconnaître, d’éclairer…
Ce sont d’abord des Français eux-mêmes qui ont pris à bras-le-corps cette question. Je pense notamment aux francs-maçons, en particulier ceux du Grand Orient de France, qui ont eu le courage d’ouvrir le débat au sein de leurs loges, de briser les non-dits, d’aborder cette histoire avec sérénité, rigueur et humanité. Les associations franco-haïtiennes ont elles aussi joué un rôle essentiel, tissant des ponts, rassemblant les mémoires, organisant colloques, rencontres, expositions, pour que le silence ne l’emporte pas.
Il faut saluer le travail des historiens, dont certains se sont consacrés à cette mission avec une ténacité admirable. J’ai une pensée particulière et émue pour Marcel Dorigny, disparu trop tôt, mais dont les écrits et les engagements ont nourri la réflexion de toute une génération. Il a éclairé des pans entiers d’une histoire volontairement ignorée, contribuant à faire sortir de l’oubli la question de la dette de l’indépendance imposée à Haïti, véritable injustice historique.
Et puis il y a celui dont on parle peu, qu’on a volontairement relégué dans les marges, celui qui avait osé avant tous les autres. Celui qui avait porté cette mémoire sur la place publique, avec force, avec courage. Il a été moqué, humilié, broyé par la machine institutionnelle française, celle qui se protège, qui rejette ce qui dérange. Il faut avoir l’honnêteté et le courage de le dire aujourd’hui : ce pionnier, souvent isolé, a ouvert une brèche. Il a permis que d’autres, après lui, poursuivent le combat.
Il s’appelle Jean-Bertrand Aristide.
Oui, c’est bien lui, ancien président d’Haïti, qui, en 2003, a eu l’audace de réclamer restitution et réparation. Il a mis en lumière, dans les cercles diplomatiques comme dans les forums populaires, cette vérité que la France refusait d’entendre : celle d’une dette historique, morale et économique, imposée à Haïti après son indépendance. Une dette injuste, un tribut versé par les anciens esclaves à leurs anciens maîtres. Une inversion totale de la justice.
Pour avoir osé briser ce silence, Aristide a été renversé en 2004. Humilié, diabolisé, exilé. La machine diplomatique, politique, médiatique — française, mais pas seulement — l’a broyé. Et pourtant, l’Histoire lui donne aujourd’hui raison. Ce que d’autres défendent désormais dans les salons officiels, il l’avait crié haut et fort, seul contre tous, avec la foi de ceux qui savent que la vérité finit toujours par remonter à la surface. Il faut avoir le courage, aujourd’hui, de le dire et de le reconnaître : Jean-Bertrand Aristide fut un éclaireur. Un homme debout. Il n’a pas seulement parlé pour Haïti, il a parlé pour tous les peuples que l’on a voulu faire taire. Le moment est venu de lui rendre justice.
Le discours du président Macron ne vient donc pas de nulle part. Il est le fruit de décennies de luttes discrètes et déterminées. Il ne solde pas le passé — rien ne le peut vraiment — mais il crée un précédent, une brèche dans le mur de l’oubli. Et pour cela, oui, il mérite d’être salué.
Par Maguet Delva
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