
Un rapport de 15 pages publié le 26 septembre 2025 par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) met en cause plusieurs hauts responsables de l’Université Publique du Bas-Artibonite (UPBAS). Le document révèle un système structuré de fraude financière, d’emplois fictifs et de contrats imaginaires, orchestré selon l’ULCC par le recteur Wilfrid Azarre et son ex-administrateur Jean Éros Bayard III Vincent.
Une enquête née des plaintes internes
L’affaire remonte à octobre 2024, lorsqu’une cinquantaine de plaignants saisissent l’ULCC pour « faits assimilables à de la corruption ». Après près d’un an d’investigations, les enquêteurs dressent un constat implacable : recrutements irréguliers, falsification de documents comptables, détournement de chèques, enrichissement personnel. L’UPBAS, financée par le Trésor public, aurait été transformée en caisse noire au profit d’un réseau bien organisé.
Emplois fictifs et salaires fantômes
Le rapport décrit une mécanique huilée : absence de commission de recrutement, embauches politiques, professeurs et contractuels « hors site » percevant des salaires sans travailler. Des noms reviennent : Vanessa Talabert, Joselande Fénélon, Wikenber Métayer et surtout Frantzy Fils-Aimé, présenté comme l’exemple type de l’agent payé sans jamais apparaître sur le campus.
Les enquêteurs pointent aussi Adzenwiller Azarre, fils du recteur et directeur des opérations, accusé d’avoir encaissé un chèque au nom de Fils-Aimé et d’avoir supervisé plusieurs mouvements de fonds non justifiés.
Chèques disparus et circuits bancaires opaques
Des contractuels affirment n’avoir jamais touché leurs chèques alors que ceux-ci étaient retirés auprès de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Le caissier Yves Donis est épinglé pour avoir facilité l’encaissement de chèques destinés à d’autres, au bénéfice de Jean Éros Bayard III Vincent et d’Oginer Emilzo, ancien directeur des ressources humaines. Des signatures falsifiées et des pièces d’identité photocopiées auraient servi à masquer ces retraits.
Faux rapports financiers et entreprises fantômes
Les enquêteurs chiffrent à plus de 10 millions de gourdes les dépenses couvertes par de faux rapports sans pièces justificatives. Quatorze chèques totalisant 8 millions de gourdes auraient été versés à des entreprises inexistantes : Saint-Marc Tech Multiservices, SM Store, Nana Store, Modestie Tech…
Des sociétés écrans, comme Kay Mane Resto, proche de l’ex-administrateur, auraient bénéficié de deux marchés fictifs de restauration pour un montant de 2,7 millions de gourdes en 2022.
Recommandations administratives : un grand ménage exigé
Dans ses conclusions, l’ULCC demande au ministère de l’Éducation nationale : la suspension immédiate du recteur Wilfrid Azarre et de l’ex-administrateur Jean Éros Bayard III Vincent; la mise à l’écart d’Adzenwiller Azarre, Oginer Emilzo et de la responsable logistique Kafuna Christiannie Thimoléon Ligondé; l’ouverture d’un audit complet des finances de l’UPBAS sur la période 2021–2025; le recouvrement des sommes détournées par voie de saisies conservatoires; l’interdiction temporaire de gérer des fonds publics pour tous les cadres mis en cause, le temps de la procédure judiciaire.
Recommandations pénales : des poursuites pour corruption
Sur le plan judiciaire, l’ULCC préconise la transmission du dossier au commissaire du gouvernement de Saint-Marc pour l’ouverture d’informations judiciaires contre :
Wilfrid Azarre (recteur), Jean Éros Bayard III Vincent (ex-administrateur) : faux et usage de faux, détournement de biens publics, abus de fonction, association de malfaiteurs,
Adzenwiller Azarre, Oginer Emilzo, Kafuna Christiannie Thimoléon Ligondé : complicité de détournement et blanchiment d’avoirs,
Yves Donis (caissier BNC) : falsification et complicité d’escroquerie.
L’ULCC demande également la saisie des comptes bancaires et la mise sous scellés des biens meubles et immeubles des principaux accusés afin de garantir le remboursement des fonds publics détournés.
Un scandale qui dépasse le campus
Entre 2021 et 2025, l’UPBAS a reçu plus de 32,8 millions de gourdes du ministère de l’Éducation. Selon le rapport, au moins un tiers de ces ressources a été siphonné par le réseau incriminé.
Ce dossier illustre, une nouvelle fois, la vulnérabilité des institutions publiques haïtiennes. L’ULCC appelle le gouvernement à agir « sans délai » afin que les recommandations ne restent pas lettre morte.
Prochaine étape : la balle est désormais dans le camp du parquet de Saint-Marc et du ministère de l’Éducation nationale. Les citoyens attendent des mesures fortes pour éviter que ce rapport, aussi explosif soit-il, ne rejoigne la longue liste des scandales étouffés en Haïti.
Par Wideberlin Sénexant
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