PubGazetteHaiti202005

Petit-Goâve : l’adieu bouleversant à 18 victimes du cyclone Mélissa, dont 10 enfants

@Patrice Noel

Sur la Place Dame de Petit-Goâve, transformée en un immense espace de recueillement, la population s’est réunie ce samedi 15 novembre 2025, dans l’après-midi, pour accompagner 18 personnes vers leur dernière demeure, dont 10 enfants. Les Petites-Goâviennes et les Petits-Goâviens ont vécu l’une des journées les plus douloureuses de leur histoire récente. Dirigeants locaux, familles endeuillées et habitants, unis dans la même tragédie, ont rendu un hommage profondément émouvant aux victimes du cyclone Melissa, tout en exhortant l’État à agir pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

Aux environs de 11 heures du matin, les cercueils avaient déjà envahi la Place Dame. Membres de la famille, amis, voisins et simples sympathisants s’y bousculaient pour soutenir les proches des victimes. Des couronnes blanches entouraient les cercueils soigneusement alignés, tandis que des chants funèbres montaient lentement dans un air lourd et chargé de tristesse.

Selon Nozalito Soliman, membre du CASEC (12e section) de Petit-Goâve, les 18 personnes inhumées dont 10 enfants ont été emportées par les inondations provoquées par le débordement brutal de la rivière La Digue lors du passage du cyclone Mélissa. Le nombre élevé d’enfants parmi les victimes a amplifié l’émotion et le choc ressentis dans toute la commune.


Sur la place, la douleur s’inscrivait dans chaque visage. Patricia, une habitante de Petit-Goâve, avançait difficilement vers les cercueils. Elle venait de perdre six membres de sa famille, dont quatre encore portés disparus. Son cri, long, déchirant, a traversé la foule et entraîné d’autres femmes dans une vague de sanglots incontrôlables. « Mwen pèdi tout sa mwen te genyen. Mwen pa konnen kijan pou m rekòmanse », a-t-elle murmuré en s’effondrant dans les bras de proches. Ce matin-là, personne n’est resté insensible à sa douleur.

Au centre de la place, le révérend père Boniface Senat, célébrant principal, conduisait la cérémonie dans une atmosphère lourde et spirituelle. Dans son homélie, il a livré un message tourné vers la protection de l’environnement et la responsabilité collective. « Ces victimes sont un message qui nous est envoyé: il est temps pour nous de planter au lieu de couper les arbres. Le pays a besoin de notre aide pour retrouver sa beauté », a-t-il déclaré devant une assemblée silencieuse.

La présence de plusieurs responsables municipaux soulignait l’importance du moment. Le maire de Petit-Goâve, Bertrand Subrème, a pris la parole d’une voix grave et engagée. «Nous devons lutter contre l'érosion et la dégradation des sols. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, l'histoire se répétera. Ce qui s'est passé ne doit plus jamais se reproduire », a-t-il affirmé, appelant la population à collaborer avec les autorités pour protéger la commune.

De son côté, Ricard Jacquet, représentant du  Konfederasyon Nasyonal Vodouyizan (KNVA) à Petit-Goâve, a rappelé que les alertes concernant la rivière La Digue n’étaient pas nouvelles. « Tout le monde était alerté sur le danger qui existait concernant la rivière La Digue. Mais on a tous attendu qu'elle déborde pour s'en rendre compte. Maintenant, il est temps d'agir », a-t-il insisté, s’adressant autant aux dirigeants qu’aux habitants. Ses mots, empreints de lucidité, ont résonné comme un rappel douloureux : la catastrophe était prévisible.

Le passage du cyclone Mélissa a laissé derrière lui un paysage dévasté. Selon un bilan de la Protection civile daté du 29 octobre 2025, Haïti compte 24 morts, 18 personnes disparues et plusieurs blessés. Petit-Goâve, particulièrement touchée, fait partie des épicentres du drame. Vers quatre heures du matin, le jour de la catastrophe, la rivière La Digue est sortie de son lit, emportant maisons, enfants et familles entières. Les quartiers de La Digue et de Borne-Soldat ont été frappés de plein fouet, piégés par une montée des eaux aussi soudaine que violente.

Dans les rues, la boue a atteint parfois un mètre de hauteur. Des maisons se sont effondrées, laissant des familles sans abri. Beaucoup dorment encore dehors, faute de refuge. Face à l’ampleur des dégâts, les habitants appellent l’État à assumer ses responsabilités.

Selon plusieurs riverains, l’absence de travaux réguliers de curage, d’entretien et de gestion des berges de la rivière a aggravé la situation.
« « Si la rivière n'est pas nettoyée rapidement, un jour nous pourrions perdre la ville entière.», avertit un jeune homme, qui a passé la nuit à aider des voisins à retrouver les corps de leurs proches.

Ce message revient sans cesse : Petit-Goâve ne peut plus se permettre d’attendre un nouveau drame pour agir. L’un des thèmes centraux de toutes les prises de parole a été la relation entre l’homme et son environnement. L’érosion, la déforestation, l’absence de gestion durable du territoire : autant de facteurs qui aggravent la vulnérabilité des zones côtières et montagneuses.

Les experts locaux le répètent depuis des années : la fragilité environnementale d’Haïti est largement liée à des choix humains, mais elle peut être corrigée par des décisions responsables et collectives. Le passage de Mélissa n’a pas seulement détruit des maisons, il a mis aussi en lumière les failles structurelles d’un système qui peine à protéger ses citoyens.

Malgré la douleur, la cérémonie sur la place Dame a aussi révélé une forte solidarité. Organisations locales, jeunes bénévoles, représentants religieux et simples citoyens se sont mobilisés pour entourer les familles endeuillées et manifester leur soutien. L’atmosphère, bien que tragique, portait un souffle d’unité. À plusieurs reprises, des chants d’espoir ont émergé au milieu des pleurs, comme pour rappeler que la vie continue malgré les blessures.

« Nous sommes une seule famille. Quand l'un d'entre nous tombe, nous souffrons tous », a lancé un jeune garçon, les yeux encore humides.

Arnold Junior Pierre

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