PubGazetteHaiti202005

À Nazon et Delmas 30, les habitants veulent rebâtir leur quotidien

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Dans les quartiers de Nazon et Delmas 30, la vie reprend timidement après des mois d’angoisse sous la coupe des groupes armés. Les habitants, marqués par la peur mais portés par une volonté de vivre, s’organisent pour reconstruire leurs maisons, nettoyer les rues et relancer leurs activités. Entre espoir et incertitude, ces communautés tentent de se relever, sans attendre l’État.

Mercredi 8 octobre 2025. Dans un micro-trottoir réalisé à Nazon et à Delmas 30, les habitants témoignent d’un retour progressif à la vie normale. Ces quartiers, autrefois paralysés par la présence des criminels du groupe “Viv Ansanm”, commencent à respirer à nouveau. Les rues se repeuplent, les commerces rouvrent, les voitures et les motos circulent à nouveau. Ce frémissement d’activité symbolise, pour beaucoup, la fin d’un cauchemar.

À Nazon, les bruits des minibus qui relient Delmas 32 à Delmas 40B résonnent encore. Des familles s’activent à rebâtir leurs maisons endommagées, rebouchant les fissures laissées par des mois de violence et d’abandon. Des enfants jouent sur les trottoirs tandis que les marchands retrouvent leurs coins habituels. La vie, lentement, reprend ses droits.


« Nou pa ka rete nan kan ankò, fòk mwen viv lakay mwen », lance Roseline, mère de famille qui a choisi de retourner vivre dans sa maison malgré les risques. Son attitude reflète la détermination d’une population lasse de l’exil intérieur. Autour d’elle, la solidarité s’organise. Les habitants partagent outils, matériaux et repas. Certains hommes du quartier s’improvisent maçons ou charpentiers pour aider les voisins à réparer leurs toitures. D’autres, plus jeunes, forment des groupes de nettoyage pour dégager les ruelles encombrées.

« Se ansanm n ap leve », affirme Patrick, un résident qui participe activement à ces initiatives communautaires. Pour lui, la reconstruction matérielle du quartier doit aller de pair avec une reconstruction humaine : « Delmas 30, se pa sèlman kay, se moun. Si nou pa kanpe youn pou lòt, nou pap janm reprann fòs nou. »

Malgré ces signes de reprise, les défis sont encore nombreux. L’un des plus urgents reste l’accès à l’électricité. Les habitants réclament avec insistance l’intervention de l’Électricité d’Haïti (EDH). « Nou bezwen limyè pou n viv nòmalman », s’exclame un journaliste revenu s’installer dans son quartier à Delmas 30. Selon lui, l’absence de courant freine la relance des activités économiques : la coiffure, la soudure ou la vente de glace tournent au ralenti, plongeant des dizaines de familles dans la précarité.

Sans électricité, le sentiment d’insécurité persiste également. Les rues mal éclairées rappellent les nuits d’angoisse passées à guetter les tirs ou les patrouilles des gangs. Autre sujet d’inquiétude : la propreté des rues. Les détritus s’accumulent dans plusieurs zones faute de collecte régulière. Les habitants interpellent la Mairie de Port-au-Prince et Delmas pour une action urgente.
« Nou bezwen wè mè a pran responsabilite li », réclame un commerçant exaspéré de voir les ordures envahir les abords du marché local. Les habitants craignent que ces conditions d’insalubrité ne favorisent la résurgence d’épidémies, alors même que la rentrée scolaire bat son plein.

En cette deuxième semaine de la rentrée des classes, les élèves originaires de Delmas doivent traverser ces quartiers pour se rendre dans les écoles de Lalue ou de Turgeau. Ce retour à la routine scolaire, bien que fragile, illustre la résilience d’une population qui refuse de se laisser abattre.


Les motocyclettes et les taxi-motos reprennent peu à peu la route. Leur présence dans les rues témoigne d’un certain retour à la confiance. Mais la peur, elle, n’a pas totalement disparu. « On ne sait pas combien de temps cela va durer, mais on veut y croire », confie un jeune vendeur de rue. Dans son regard, comme dans celui de nombreux habitants, se mêlent espoir et méfiance. La paix reste fragile, suspendue à la volonté des autorités de consolider la sécurité retrouvée. 

Certains habitants, tout en réparant leurs maisons, avouent sursauter au moindre bruit suspect. « Nou bezwen lapè dirab, pa lapè jodi a pou lagè demen », murmure une vieille dame, la voix tremblante. Les habitants de Nazon et Delmas 30 ne réclament pas l’aumône, mais la présence réelle de l’État. Ils appellent à une coordination efficace entre la Mairie, l’EDH et les ministères concernés pour restaurer les services de base. « Nou ap fè pati nou, men leta dwe fè pa li tou », insiste un jeune qui se présente comme un enseignant. Pour lui, la reconstruction de Nazon doit devenir un symbole national de résistance et de renouveau.

Au-delà des réparations matérielles, ces communautés attendent des actions concrètes : un plan d’assainissement durable, une politique de sécurité communautaire et des programmes de soutien aux familles déplacées. Sans cela, préviennent-ils, le risque est grand de replonger dans la spirale du chaos.


Ce qui se joue à Nazon et Delmas 30 dépasse les frontières de ces quartiers. C’est tout Port-au-Prince, voire le pays, qui se reconnaît dans ce combat pour la dignité et la reconstruction. Ces zones sinistrées sont aujourd’hui des laboratoires de résilience, où la population prouve qu’elle peut se relever, même avec peu.

« Si Nazon leve, Delmas leve, sa vle di tout Ayiti kapab leve tou », conclut Patrick, le regard tourné vers un avenir incertain, mais porteur d’espérance.
À travers leurs gestes quotidiens, ces hommes et ces femmes rappellent que, même au cœur de la fragilité, l’espoir demeure le plus puissant moteur de la vie.

Arnold Junior Pierre

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