
Depuis plusieurs années, Haïti sombre dans un chaos profond. La violence endémique, l'effondrement des institutions, la pauvreté grandissante, l’émigration de masse et la crise humanitaire font du pays une véritable zone rouge sur la carte mondiale des urgences. La question qui s’impose désormais n’est plus « que se passe-t-il ? » mais plutôt « à qui profite ce désastre ? ».
Le 31 mars 2025, la coalition criminelle « Viv Ansanm » lance une attaque coordonnée sur la ville de Mirebalais. Le commissariat est pris d’assaut, la prison est vidée, les détenus se dispersent, les habitants fuient et les policiers – débordés – ne peuvent réagir qu’a posteriori. Cette attaque n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une dynamique de militarisation des gangs et de désintégration de l’État. La population se retrouve abandonnée, sans protection, exposée à une violence structurée et répétitive.
Origines et complicité autour de Viv Ansanm
La coalition criminelle « Viv Ansanm », aujourd’hui au cœur du chaos sécuritaire en Haïti, trouve son origine sous la présidence de Jovenel Moïse. Selon plusieurs sources, c’est le président lui-même qui aurait favorisé sa création, dans une logique de « pacification » des zones urbaines à travers l’alliance de plusieurs gangs rivaux. Cette stratégie, au lieu d’apporter la stabilité, a institutionnalisé la violence armée et accéléré l’effondrement de l’autorité de l’État.
Fait marquant : à l’époque, la représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti et cheffe du BINUH, Helen Meagher La Lime, avait salué cette initiative. Ce soutien implicite a contribué à légitimer sur la scène internationale une coalition mafieuse, malgré les alertes d’organisations haïtiennes de défense des droits humains.
Aujourd’hui, les conséquences sont dramatiques : des quartiers entiers sous le contrôle des gangs, un climat de terreur, et une population abandonnée.
Selon l’étude « Cartographie de la violence impliquant les jeunes et les enfants à Port-au-Prince » (UNICEF, 2023), plus de 80 % des communes urbaines de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince sont sous l’influence de groupes armés. Des organisations comme 400 Mawozo, G-9-Viv Ansanm dominent des zones entières, imposent des taxes illégales, contrôlent les ports, les routes, les terminaux pétroliers et même les écoles. Les jeunes sont recrutés de force, les filles sont victimes de violences sexuelles, et la terreur devient la norme.
Une économie en ruine : le poids du chaos
Le rapport de la Banque mondiale (2024) brosse un tableau alarmant : une contraction du PIB de -4,2 % en 2024, une inflation alimentaire de 40,5 %, et une pauvreté extrême touchant plus de 36 % de la population. L’agriculture – pilier de l’économie haïtienne – est particulièrement affectée, notamment dans les départements de l’Artibonite et de l’Ouest, occupés par les gangs. Le textile, principal secteur d’exportation, a perdu plus de 30 000 emplois en deux ans. Les recettes fiscales sont en chute libre, et les investissements étrangers quasiment inexistants.
La Banque mondiale souligne également que le manque de gouvernance, l’insécurité et la paralysie politique empêchent toute relance. Les services publics sont effondrés. Les écoles ferment. Des centres hospitaliers hôpitaux sont attaqués dont l’hôpital de l’université d’Etat d’Haïti communément appelé l’hôpital général. Et l’appareil judiciaire est quasiment inexistant.
Une gouvernance en déroute : corruption et passivité de l’État
Dans son rapport de janvier 2025, le Fonds monétaire international (FMI) dénonce une situation de « fragilité extrême ». L’IMF y indique que les institutions haïtiennes ne disposent d’aucun moyen de contrôle réel, que les mécanismes de transparence budgétaire sont faussés, et que la mobilisation des ressources fiscales est bloquée par les réseaux de corruption et l’insécurité généralisée. Le rapport note néanmoins la volonté politique de certaines autorités à relancer un programme de réforme, mais cette volonté reste théorique sans contrôle territorial effectif.
Le rapport de Transparency International de 2024 place Haïti parmi les cinq pays les plus corrompus au monde. L’État n’inspire plus confiance. Les autorités sont perçues comme absentes ou complices, les dépenses publiques ne sont pas documentées, et les contrats publics échappent à tout contrôle citoyen.
L'implication de l'État dans les crimes : complicité ou impuissance ?
Le rapport conjoint de l’ONU et de la Harvard Law School sur les droits humains en Haïti (2021) accuse directement des membres du gouvernement d’être de connivence avec des groupes armés. Il évoque des crimes pouvant être qualifiés contre l’humanité, commis dans des zones comme Cité Soleil, Martissant ou Carrefour-Feuilles. Ces accusations, basées sur des enquêtes indépendantes, renforcent le sentiment de trahison nationale. L’État, censé protéger, apparaît comme acteur ou complice de la destruction.
Les enfants et les jeunes : une génération volée
Le rapport de UNICEF est sans appel : des milliers d’enfants et de jeunes vivent dans des conditions inhumaines. Recrutés, violés, déplacés, privés d’éducation et de soins, ils subissent la violence quotidienne comme une fatalité. Les zones de Tabarre, Croix-des-Bouquets, Delmas et Cité Soleil sont les plus exposées. 51 % des enfants interrogés disent entendre des tirs toutes les semaines. L’étude documente également l’impact psychologique : traumatismes, insomnie, anxiété, tentatives de suicide. Une génération entière est brisée.
Le rôle de l’international : entre assistance et désengagement
En octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 2699, autorisant une force multinationale sous la direction du Kenya. Mais le déploiement est lent, controversé et mal coordonné. Selon ONU Info (2025), la mission est encore sous-dimensionnée et peine à répondre aux attentes. Pendant ce temps, les gangs continuent de gagner du terrain.
Le FMI, dans son rapport, plaide pour une coordination urgente entre les bailleurs (Banque mondiale, Union européenne, BID, ONU) pour stabiliser le pays. Mais cette coordination reste théorique. Sur le terrain, ce sont les ONG et les structures communautaires qui tiennent debout ce qui reste du tissu social.
La prolifération des armes : un réseau transnational
Selon le Département de la Justice des États-Unis et le Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC), des armes lourdes en provenance directe de la Floride sont régulièrement saisies chez des membres du gang 400 Mawozo et d’autres factions. Le réseau logistique est connu : ports non surveillés, containers non inspectés, complicités douanières. Des Haïtiens installés aux États-Unis ont été arrêtés pour trafic illégal d’armes. Le pays est inondé d’armes de guerre. Le UNODC affirme même que les gangs disposent désormais de plus de puissance de feu que la PNH.
La presse : dernier rempart menacé
Selon le RNDDH, les attaques contre les journalistes se sont multipliées depuis 2023. Enlèvements, assassinats, censure. L’emblématique radio Télé Caraïbes située la à Ruelle Chavannes a été incendiée par des groupes armés. A Delmas, la Télé Plurielle appartenant à la journaliste Marie Lucie Bonhomme a été vandalisée. La liberté de la presse est en péril. Pourtant, ce sont encore les médias locaux qui informent, qui alertent, qui documentent les crimes. Ce sont eux qui maintiennent le lien entre le peuple et la vérité.
L’exode : un peuple en fuite
Les Haïtiens fuient. En masse. Par terre, par mer, par les airs. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 300 000 personnes sont déplacées à l’intérieur du pays. Des dizaines de milliers cherchent à fuir vers les États-Unis, le Canada ou la République dominicaine. Les routes migratoires sont mortelles. Les familles laissent tout : maisons, commerces, souvenirs, identité. Haïti devient un pays d’exilés.
Dans une déclaration publiée par Rhinews la semaine dernière, Pierre Espérance, directeur exécutif du RNDDH, dénonce :
« Haïti est sous la menace d’un coup d’État orchestré par Viv Ansanm et ses alliés. Il existe une collusion entre les gangs armés et certaines branches du pouvoir dans le but de prendre le contrôle total du pays. »
Cette affirmation confirme ce que beaucoup redoutent : Viv Ansanm n’est plus seulement un regroupement criminel. C’est une force politique parallèle, née d’un projet de pouvoir, nourrie par la complicité silencieuse de l’État, et désormais prête à prendre les rênes du pays par la force.
La dernière question : à qui profite ce chaos ?
Pendant que des enfants sont violés, que des familles sont massacrées, que les hôpitaux ferment, que les écoles brûlent, certains tirent profit du chaos. Qui ?
• des politiciens corrompus, qui protègent leur pouvoir?
• des trafiquants d’armes et de drogue?
• des entreprises qui exploitent la situation pour en faire le maximum de profits ?
• un plan de de certains États étrangers, qui préfèrent un État failli à un voisin fort?
Pendant tout ce théâtre macabre, ce sont les plus vulnérables qui souffrent. Dans les zones rurales, les produits agricoles ne peuvent plus être acheminés vers Port-au-Prince. Les paysans, contraints de les écouler localement à des prix dérisoires, subissent la loi de l’offre et de la demande. Dans la capitale, les produits pharmaceutiques se raréfient, les denrées alimentaires connaissent une envolée des prix, les hôpitaux ferment les uns après les autres. Le plus grand centre hospitalier du pays est désormais sous le contrôle de « Viv Ansanm ».
Chaque jour, un peu plus de territoire est perdu sous les yeux de l’autorité. Le Conseil présidentiel de transition (CPT), le gouvernement et le directeur général de la police semblent incapables de trouver l’antidote, malgré l’usage récent de drones kamikazes, dont les effets restent pour l’instant symboliques et sans promesse tangible d’un lendemain meilleur.
Aujourd’hui, dans une tentative de maintenir une façade de justice, le CPT et le ministère de la justice, ont rouvert le tribunal de première instance de Port-au-Prince à Delmas. Mais plus d’un s’interroge : pour combien de temps ce tribunal fonctionnera-t-il dans ce territoire d’exception ? Et quelle justice peut-on attendre quand les gangs continuent d’incendier les commissariats et de vider les prisons ?
Presque toutes les institutions publiques ont fui le centre-ville : le Palais national, la Cour des comptes, le ministère du Commerce… Tous ont reculé face à la puissance de feu des gangs.
Haïti, miroir d’un monde injuste
Haïti n’est pas seulement un pays en crise. C’est le reflet d’un monde profondément injuste. Un monde où les faibles sont abandonnés. Où les puissants détournent les yeux. Pourtant, Haïti peut se relever. Mais cela exigera plus que des discours : une mobilisation réelle, une solidarité sincère, une volonté politique ferme, et une politique publique repensée. Et surtout, une prise de conscience nationale et mondiale.
Sources citées :
• FMI, Haiti Staff Monitored Program, Report No. 25/19, janvier 2025
• Banque mondiale, Haiti Macro Poverty Outlook, octobre 2024
• UNICEF & Data-Pop Alliance, Cartographie de la violence impliquant les jeunes à Port-au-Prince, 2023
• ONU Info, Haiti en prise avec les gangs, janvier 2025
• Harvard Law School, Complicity of Government in Crimes Against Humanity in Haiti, 2021
• Transparency International, Corruption Perceptions Index, 2024
• RNDDH, Multiplication des attaques contre la presse, 2024
• UNODC, Les gangs haïtiens ont plus de puissance de feu que la police, 2024
• Département de la Justice des États-Unis, Florida man sentenced for supplying Haitian gangs, 2024
• Amnesty International, Gang Violence in Haiti, 2024
• OIM, Displacement in Haiti: Internal Report, novembre 2024
Par Sabrina Lemaire
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