PubGazetteHaiti202005

La justice en grève durant tout le mandat de Jovenel Moïse

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Des grèves en cascade ont paralysé le fonctionnement de l'appareil judiciaire pendant le mandat du président Jovenel Moïse, preuve que l'un des 3 pouvoirs de l'État a été le cadet des soucis du garant de la bonne marche des institutions.  Après l'arrestation du juge de la Cour de cassation, le masque est tombé, la justice et l'Exécutif sont désormais à couteaux tirés, en témoigne la grève illimitée lancée par des associations de magistrats pour faire respecter la Constitution. Durant les deux ans de grève entamés par les professionnels du droit, les assises criminelles ne sont jamais tenues dans le pays.

De longues séquences de grève ont mis à genoux le fonctionnement du système judiciaire depuis plusieurs années. 

La grève illimitée de plusieurs associations de magistrats lancée pour le respect de la Constitution ajoute à la longue liste. Ils en sont à leur deuxième semaine sans avoir pris siège. 

Le premier épisode débute en novembre 2017 où le Syndicat national des greffiers haïtiens (SYNG), entame une grève qui a duré plusieurs semaines. S'en suit une longue grève des greffiers lancée le 28 juillet 2020 dans toutes les 18 juridictions du pays pour exiger une augmentation salariale et de meilleures conditions de travail. 

En mai 2019, les juges des 18 juridictions du pays observent plusieurs semaines d’arrêt de travail pour protester contre la dépendance du pouvoir judiciaire. 

Le 10 juin 2020, les juges haïtiens sont rentrés en grève quelques jours après la publication du budget de l’exercice fiscal 2019-2020. Le juge Jean Wilmer Morin, président de l’Association nationale des magistrats haïtiens (ANAMAH), avait annoncé que ses pairs sont entrés en grève pour protester contre la façon dont le système judiciaire est traité en parents pauvres dans ce budget publié quatre mois avant la fin de l’exercice. 1.5 milliard de gourdes, c’était le montant alloué au CSPJ et à la Cour de cassation.

Le lundi 23 novembre 2020, à l’initiative du Collectif des magistrats debout haïtiens (COMADH), des commissaires du gouvernement et leurs substituts observent un arrêt de travail qui a paralysé pendant plusieurs jours toutes les juridictions du pays. Cette initiative visait à réclamer de meilleures conditions de travail et l’égalité de traitement avec les magistrats assis, selon le vœu de la loi du 27 novembre 2007, portant sur le statut de la magistrature. 

Me Martin Ainé,  de l'Association nationale des greffiers haïtiens (ANAGH) a énuméré le nombre de grèves lancées par les greffiers - sans succès. 

« En 2017, les greffiers ont lancé un vaste mouvement de grève de deux mois pour exiger de meilleures conditions, l'ajustement de salaire, l'octroie d'une carte de débit, etc... En 2018, il y avait eu des jours d'arrêt de travail. En 2020, les greffiers ont observé deux arrêts de travail avant d'entamer une grève illimitée le 20 juillet 2020 qui a duré 3 mois. De 14 janvier à nos jours, nous sommes en grève. Toutefois, on accorde une brèche pour entendre certaines affaires pressantes, urgentes », a détaillé Me Martin Ainé, président de l'ANAGH, signalant que durant les deux ans de grève entamée par ses pairs, les assises criminelles ne sont jamais tenues dans le pays. 

Malgré tout, dit-il, les promesses ne sont pas tenues par les autorités qui appellent à maintes fois à des trêves. Pendant ce temps, regrette-t-il, la détention préventive prolongée galope dans les geôles du pays. 

Plus loin, Me Martin Ainé dit constater que les autorités au plus haut niveau s'en foutent totalement de la justice. « La justice comme l'un des pouvoirs est considérée comme une entitée négligée tandis que la justice élève une nation. La population est livrée à elle-même parce que la justice n'est pas forte », glisse non sans regret le président de l'ANAGH.

Il y a l'insatisfaction sur toute la ligne pendant les mouvements de grèves durant ces dernières années, a abondé pour sa part le juge Lucien Georges, secrétaire général du Réseau national des magistrats haïtiens (RENAMAH), joint au téléphone. 

Durant la gestion de l'équipe au pouvoir, les mots d'ordre de grève n'ont pas donné les fruits escomptés, constate-t-il. « À chaque fois, les autorités au plus haut niveau décident de faire la sourde oreille, demandent une trêve sans jamais respecter les promesses », regrette le magistrat qui dit que les associations se plient souvent en acceptant d'observer une trêve pour éviter de pénaliser les justiciables. 

« Les problèmes viennent s’ajouter à d'autres déjà existants », avoue le magistrat, déplorant au passage que «  l'Exécutif accorde une plus grande part du budget à d’autres priorités en fonction de sa politique et laisse le pouvoir judiciaire, qui devrait être fort, avec une miette ». 

Ces mots d'ordre de grève s’expliquent par l'irresponsabilité de l'Exécutif envers le pouvoir judiciaire qui est censé être indépendant. «  il y a un manque criant de moyens au niveau du système judiciaire. Du coup, l'obligation des acteurs du système judiciaire envers la population ne peut pas être respectée. Rendre la justice requiert un certain coût. Parfois, les juges d'instruction n'ont pas même les moyens locomotifs pour mener leurs enquêtes. Donc difficile de contenir la détention préventive prolongée », raconte au journal le responsable du RENAMAH.

Pour le moment, confirme par ailleurs le juge Georges, les associations de magistrats maintiennent leur grève illimitée pour « exiger le retrait de la décision arbitraire de révoquer les 3 juges à la Cour de cassation qui sont inamovibles ».

Pour Pierre Espérance, directeur exécutif du RNDDH, la justice n'a jamais été une priorité pour le pouvoir en place durant son mandat qui, dit-il, est arrivé à terme. 

« Ces années ont été des années de calamités, de souffrance où le pouvoir de Jovenel Moïse ignore totalement l'appareil judiciaire. 4 ans d'instrumentalisation de la justice et de mépris total de la part du régime PHTK, 2e version », fustige le défenseur des droits humains. 

« Si ce n'est l'insécurité qui paralyse le fonctionnement de la justice parfois, ce sont des grèves ou des magistrats victimes dans l'exercice de leurs fonctions », fait remarquer le militant des droits humains.  

Pour lui, « on n'a jamais vu l'appareil judiciaire instrumentalisé , vassalisé, piétiné depuis le départ du dictateur Jean Claude Duvalier en 1986. »

« Tous  les indicateurs dans le concept état de droit sont au rouges durant le mandat de Jovenel Moïse. L'arrestation du juge Ivikel Dabrésil suivie de l'envoi à la retraite des juges pressentis pour remplacer Jovenel Moïse, est la goutte d'eau qui fait déborder le vase », s'insurge M. Pierre Espérance. 

Les 18 juridictions judiciaires du pays ont été le spectre de grève interminable depuis 2017 jusqu'à 2021. L'appareil judiciaire a été secoué par ces mots d'ordre de grève utilisés comme outil par les fonctionnaires du système soit pour exiger de meilleures conditions de travail, d'un ajustement de salaire ou soit le respect d'un accord avec l'Exécutif.

 

Michel Césaire

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