Vingt-huit localités d’Haïti, dont vingt-cinq situées dans le département de l’Ouest, sont sous l’emprise de gangs armés depuis 2021, selon un rapport du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH). Plus d’une centaine d’institutions publiques et plus de 600 structures privées ont été délocalisées, vandalisées ou incendiées.
Ce 1er juin 2025 marque les quatre ans de l’abandon du quartier de Martissant aux mains de groupes armés, une prise d’assaut survenue sous la présidence de Jovenel Moïse. Cet événement a entraîné une vague de déplacements internes forcés à travers le pays. Selon le CARDH, la prise de contrôle de Martissant constitue le point de départ de l’expansion territoriale des gangs. Depuis la prise en otage de l’entrée Sud de la capitale, ces derniers ne cessent de mener des attaques contre d’autres communes et quartiers afin d’élargir leur territoire.
Le rapport du CARDH recense 28 localités, dont 25 sous le joug des gangs. Il indique que 102 institutions publiques et 622 structures privées ont été déplacées, certaines vandalisées, d’autres incendiées. Au total, 1 064 935 déplacements forcés ont été recensés.
Le Centre salue la désignation récente, par l’administration américaine, des gangs haïtiens comme organisations terroristes internationales (le 3 mai dernier), jugeant qu’il s’agit d’un pas important dans la lutte contre l’insécurité. Toutefois, il appelle à des mesures concrètes, durables, et concertées — à la fois conjoncturelles et structurelles — pour accompagner cette décision.
À défaut, Haïti pourrait devenir un territoire entièrement contrôlé par des groupes terroristes, y compris au sein même de ses institutions, alerte le CARDH.
Face à ce constat alarmant, le Centre recommande à l’État haïtien une série de mesures, notamment :
• L’adoption d’un cadre légal sécuritaire d’urgence modifiant la loi du 29 novembre 1994 créant la Police nationale d’Haïti (Le Moniteur #103) ;
• La création d’une unité antiterroriste/anti-gang bien formée et équipée ;
• L’augmentation des effectifs de la PNH et des Forces armées ;
• La levée de l’embargo sur les armes imposé après le coup d’État de 1991 ;
• Un appui logistique (aérien, maritime et terrestre) aux forces de sécurité et à la MMAS pour mener des opérations d’envergure ;
• La construction d’une prison de haute sécurité ;
• La mise en place immédiate d’une structure de réinsertion pour les enfants et autres populations vulnérables enrôlées par les gangs ;
• Un appel au dépôt volontaire des armes ;
• L’installation d’une task force judiciaire dédiée exclusivement au traitement des dossiers criminels.
Depuis juin 2021, l’entrée Sud de Port-au-Prince a sombré dans le chaos, conséquence directe des affrontements entre les gangs de « Gran Ravin » et de « Ti Bwa » pour le contrôle du territoire. Le groupe « Gran Ravin » a pris le dessus sur les zones anciennement dirigées par le chef de gang « Krisla », transformant Martissant — désormais sous leur coupe — en une zone dangereuse, surnommée « la vallée de l’ombre de la mort ».
Les habitants ont été contraints de fuir leurs foyers. De nombreuses entreprises, écoles et institutions ont été pillées, vandalisées ou incendiées. Le sous-commissariat a été brûlé par les gangs. Des civils ont été tués, y compris à bord de bus de transport en commun.
La route étant devenue impraticable en raison des tirs répétés sur les véhicules, les habitants ont dû emprunter des chemins de montagne tels que « Ti Kajou » ou « Tara’s », souvent à moto, pour accéder à d’autres zones de la capitale. Des droits de passage ont été imposés par des groupes armés occupant ces routes.
Si les attaques contre les bus ont diminué, la zone de Martissant reste hors de contrôle. Des postes de péage illégaux y ont été établis par les gangs, qui exigent des frais aux chauffeurs.
Depuis, d’autres groupes armés ont étendu leurs opérations vers diverses communes, où ils établissent aussi des points de péage. S’ils se livraient auparavant à des affrontements pour le territoire, ils agissent désormais en coalition, sous la bannière criminelle « Viv Ansanm », pour étendre leur emprise nationale.
Plusieurs communes de Port-au-Prince, des villes de province et des localités du département de l’Artibonite — notamment Petite-Rivière — sont aujourd’hui considérées comme des territoires perdus. La majorité des commissariats dans ces zones ont été détruits, vandalisés ou incendiés.
Dans un rapport antérieur, l’Organisation des Nations Unies estimait que près de 85 % de la capitale est sous le contrôle des gangs.
Durant le premier trimestre de 2025, plus de 1 600 homicides et 500 blessés ont été recensés, selon le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). À la date du 31 mars, 1 041 229 déplacés internes étaient comptabilisés, soit une hausse de 48 % par rapport à l’évaluation de septembre 2024. En 2024, 5 601 personnes ont été tuées, 2 212 blessées et 1 494 enlevées, toujours selon l’ONU.
Par : Daniella Saint-Louis
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