
Dans une Cité Soleil souvent associée à la pauvreté et à la violence, une initiative locale redonne espoir. L’organisation humanitaire MAKAYA Matris Kominote Ayisyen Angaje en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM), a lancé officiellement le vendredi 19 septembre 2025 le projet « Résilience et Création d’Actifs ». Son objectif : renforcer la résilience économique et nutritionnelle des habitants de Pierre 6 et Vaudreuil, deux quartiers longtemps abandonnés aux difficultés et aux drames.
La cérémonie s’est tenue au Lycée National Duvivier en présence de responsables communautaires, d’autorités locales et des membres de la population. Pendant près de trois heures, les initiateurs ont présenté les grandes lignes d’un projet qui combine aide immédiate et perspectives durables. Derrière cette démarche se cache une conviction forte : la résilience ne peut naître que de l’action collective et du respect des capacités locales.
Créée en 2021, MAKAYA est née d’une urgence humanitaire, mais son ambition va au-delà du secours ponctuel. Apolitique et non-confessionnelle, l’organisation se présente comme un acteur de proximité, engagé aux côtés des familles vulnérables. À travers ce nouveau programme, elle veut contribuer à la réduction de l’insécurité alimentaire, favoriser la création d’opportunités économiques et renforcer la cohésion sociale.
« Nous croyons que la résilience passe par l’action collective et la valorisation des capacités locales », a rappelé un responsable de MAKAYA. Ce credo se reflète dans le partenariat avec le PAM, qui apporte non seulement un soutien financier, mais aussi un accompagnement technique pour garantir la qualité et l’efficacité des interventions.
Le projet repose sur six activités concrètes et ciblées. À Vaudreuil, 436 mètres de canaux d’irrigation seront réhabilités pour permettre aux terres de retrouver leur potentiel agricole. À Pierre 6, l’installation d’une pompe solaire de 30 KVA fournira jusqu’à 1 500 gallons d’eau par minute, une bouffée d’oxygène pour une population souvent privée d’accès régulier à l’eau.
Par ailleurs, 4 000 mètres de canaux de drainage seront creusés et curés, dont 3 000 à Vaudreuil et 1 000 à Pierre 6, afin de réduire les risques d’inondation, fléau récurrent qui fragilise les familles à chaque saison des pluies.
L’aspect social du projet est tout aussi central : 690 ménages vulnérables recevront une assistance monétaire pour couvrir leurs besoins de base. Dans le même temps, 600 producteurs agricoles seront formés à l’approche PICSA, qui leur donnera des outils pour mieux planifier leurs cultures face au changement climatique. Enfin, 600 chefs de ménages suivront des sessions de sensibilisation sur la nutrition, l’hygiène et l’égalité de genre, avec une cible de 50 % de femmes bénéficiaires.
Dans son discours, Jean Caleb Baptiste, responsable du projet, a insisté sur la dimension participative de la démarche : « La réussite de ce projet repose sur l’implication active des deux communautés. Vous n’êtes pas des spectateurs, mais les acteurs principaux de ce changement. »
Il a également affirmé que la sélection des bénéficiaires n’a pas été décidée derrière un bureau, mais réalisée directement dans les quartiers, par des comités de ciblage incluant des leaders intègres et une majorité de femmes.
Au-delà des infrastructures, Baptiste a insisté sur la nécessité de bâtir la confiance et d’écouter les voix des habitants. Des mécanismes de plainte, allant des boîtes à doléances à une hotline du PAM, sont mis en place pour recueillir le feedback des bénéficiaires et améliorer en permanence la mise en œuvre.
La sécurité des bénéficiaires et du personnel a aussi été présentée comme une priorité non négociable. Baptiste a affirmé qu’une politique de tolérance zéro contre toute forme d’exploitation ou d’abus serait strictement appliquée. Pour lui, ce projet est avant tout celui des communautés : « Prenez-en possession, surveillez son déroulement avec nous et travaillons ensemble pour qu’il porte ses fruits. »
Le PAM, de son côté, a salué cette initiative locale. Erwan Rumen, directeur adjoint du PAM en Haïti, a déclaré : « Ce projet traduit notre volonté de bâtir des solutions durables avec les communautés. En collaborant avec une organisation ancrée dans le tissu local comme MAKAYA, nous misons sur l’efficacité et la proximité pour atteindre les résultats attendus. »
De son côté, Stevensia Vil, représentante de MAKAYA, a rappelé le chemin parcouru par l’organisation depuis 2021. Elle a évoqué les partenariats avec l’AVSI pour soutenir des centaines de femmes victimes de violences sexuelles, avec le CICR pour renforcer l’assainissement et prévenir les inondations, ainsi qu’avec le PAM pour organiser des distributions alimentaires à grande échelle.
« Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’apporter une aide immédiate. Il s’agit aussi de bâtir la résilience, de donner aux familles et aux communautés les moyens de se relever et de construire un avenir plus sûr et plus digne », a-t-elle déclaré.
Elle a mis en avant trois valeurs clés : la redevabilité, la protection et la transparence. Selon elle, chaque bénéficiaire doit pouvoir poser des questions, se sentir protégé et traité avec dignité.
Ce projet de résilience est une réponse directe aux défis qui frappent Cité Soleil : l’insécurité, la pauvreté, le manque d’infrastructures et la vulnérabilité sociale. Mais il s’inscrit aussi dans une vision plus positive : celle d’une communauté qui refuse de se résigner et qui aspire à vivre dans la dignité.
« Nou kapab fè Cité Soleil tounen yon modèl rezilyans pou tout lòt kominote nan peyi a », a affirmé Vil, citant la conviction de MAKAYA que l’expérience locale peut inspirer d’autres régions d’Haïti.
En lançant « Résilience et Création d’Actifs », Cité Soleil devient aujourd’hui le théâtre d’une expérience pilote. Loin des clichés qui la décrivent comme une zone de non-droit, elle s’affirme comme un laboratoire d’innovation sociale où la solidarité et l’engagement communautaire ouvrent une brèche d’espoir.
Dans un pays ravagé par l’instabilité, ce projet ne prétend pas tout résoudre. Mais il incarne un pas important vers la construction d’un avenir où les habitants de Vaudreuil et Pierre 6 pourront dire qu’ils ont reconstruit non seulement leurs canaux et leurs terres, mais aussi leur dignité et leur capacité à faire face aux crises.
Par Arnold Junior Pierre
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