PubGazetteHaiti202005

Mikaben, artiste sous-estimé de son vivant, érigé en « Légende » après sa mort 

@veridiqueart

La vie du chanteur haïtien Michael Benjamin « Mikaben », décédé suite à un arrêt cardiaque lors du concert-retrouvailles du groupe CARiMi samedi 15 octobre, à l’Accor Arena à Paris, a été « célébrée » ( terme utilisé pour l’occasion) le dimanche 6 novembre dernier au centre culturel Miramar en Floride. Une cérémonie d’hommage digne d’une « légende » qu’il est devenu, malheureusement après sa mort tragique. Sa famille, ses proches, des artistes de toutes tendances et des fans venus de partout ont fait le déplacement pour lui dire un dernier adieu. Des funérailles sont annoncées pour le 15 novembre 2022 en Haïti. Elles seront chantées à l’église Saint-Pierre de Petion-Ville.

 

 

Si la mort de Mikaben est à ce jour l’événement le plus dramatique de l’histoire de la musique haïtienne, jamais de tels hommages n’ont été rendus à un artiste haitien décédé. Du mémorial devant l’Accor Arena à Paris à l’hommage à Times Square à New-York en passant par des événements à Montréal, dans presque toute la diaspora haïtienne et les différentes villes du pays, les Haïtiens ont manifesté leur « profonde affection  » pour le chanteur.  

 

Pourquoi tous ces éloges maintenant? 

 

Les réactions du public haïtien et de la presse reconnaissant subitement de manière presqu’unanime ses qualités d’ « homme de grand coeur » et l’immensité de son talent interpelle, intrigue…Cela nous pousse à des questionnements: 

pourquoi avoir attendu sa mort pour enfin reconnaître que Mikaben fut l’un des plus talentueux de sa génération? 

Pourquoi lui faire tous ces éloges seulement maintenant ? 

Alors que certains diront peut-être que les circonstances de son décès survenu sur la scène prestigieuse de l’Accor Arena, relayé par les grands médias internationaux, ont joué sur l’émotion collective, d’autres parlent tout bonnement de l’« hypocrisie à l’haïtienne ».

 

S’il est vrai que Mikaben mérite bien cette gloire posthume pour son œuvre, il aurait été mieux, de son vivant, d’être reconnu et apprécié à sa juste valeur. Le chanteur érigé en « légende » aujourd’hui après sa mort, a vécu une carrière ordinaire, sans

être vraiment un artiste à succès et populaire, en dépit de toutes ses potentialités, louées par tous aujourd’hui.

 

 Ses albums, quoique de qualité, n’ont jamais connu de véritables succès, sinon la version troubadour de sa chanson « Ou Pati » qui l’avait propulsé au-devant de la scène. « Ayiti Se » restait jusque là un « morceau de circonstances » qui n’a d’ailleurs atteint le seuil d’un million de vues sur YouTube qu’après le drame. Il n’est pas exagéré de dire que l’artiste n’intéressait pas grand monde. En 20 ans, Mikaben n’a pas eu la popularité de Rutschelle Guillaume, de Bedjine-K-Dilak, de Roody Roodboy, de Wendyyy ou encore Tony Mix. Cette parenthèse ou comparaison ne remet pas du tout en question le talent de ces derniers. Loin de là.

 

Mikaben n’était pas dans les petits papiers des promoteurs. Les fans ne se bousculaient pas non plus lors de ses rares concerts. A part quelques apparitions avec d’autres groupes, tels que Carimi, Kaï ou T-Vice, il en donnait lui-même très peu, faute de demandes. L’animateur Phillipe Saint-Louis rapportait récemment avec amertume sur Facebook que le chanteur avait du annuler une soirée aux USA pour la simple et bonne raison que très très peu de gens avaient fait le déplacement ( 20 à 30 personnes, selon lui).

On se souvient aussi de l’aventure Krezi Mizik, fondée avec David Dupoux, qui n’avait pas fait long feu, pour à peu près les mêmes raisons.

 

 

Bien que Mikaben, auteur compositeur-interprète, fut l’un des rares artistes haïtiens à exceller dans presque tous les genres musicaux, son nom n’a jamais été cité parmi les meilleurs de l’industrie musicale haïtienne. 

 

L’occasion de nous rattraper 

 

Il aura fallu sa disparition pour se rendre compte qu’il avait sa signature sur plusieurs tubes d’autres artistes, qu’il collaborait avec un nombre incalculable de musiciens sur des projets, que des artistes comme Richard Cavé, K-Dilak, Phyllisia Ross, entre autres, bénéficiaient largement de son talent et de sa générosité artistique.

 

Alors, cet événement dramatique qui a élevé aujourd’hui Mikaben au rang de « Légende, certains parlaient même de Héros national qui mérite sa place au MUPANAH », nous donne au moins l’occasion de nous rattraper en prêtant attention aux vrais talents, en encourageant, en honorant nos artistes de leur vivant. 

A ce propos, les médias ont un rôle fondamental à jouer car ce sont eux qui dirigent l’opinion. Ils ont pour responsabilité de promouvoir les valeurs au lieu de chercher à ériger la médiocrité en norme et de courir derrière le buzz. 

 

« Donner à Cesar ce qui est Cesar »

 

Elles sont nombreuses, des personnes à avoir découvert Mikaben seulement après sa mort.

Il est à espérer que ce drame qui lui vaut aujourd’hui sa place au haut de l’échelle des légendes provoquera un déclic chez les animateurs de médias, les blogueurs, le grand public afin de finalement « donner à Cesar ce qui est Cesar ». 

Trop d’artistes bourrés de talents sont passés aux oubliettes, méprisés, sous-estimés. 

Qui se souvient de Jude Jean, de Stanley Toussaint, de Armstrong Jeune, de Top Adlerman, de Gary Didier Perez… ? En passant a-t-on contribué à la collecte de fonds lancée par l’animateur et producteur Philippe Saint Louis en solidarité avec l’ex chanteur de Zenglen et d’Ozone, idole de la musique haïtienne dans les années 90, souffrant d’une grave maladie aux USA? N’attendons pas qu’il s’en aille pour inonder les réseaux sociaux de ses anciens tubes, Fidèl, Tambou Nou, Ou te mèt Ale, Trahison, Souvenir, Anba Latè, etc.

 

Et puisqu’il s’agit de « légendes », il est encore temps de chercher à honorer pendant qu’ils sont vivants des géants de notre musique, tels que : Roger M. Eugène « Shoubou », Jean Elie Telfort « Cubano », Dieudonné Larose, King Kino, Alan Cavé, Toto Nécessite, Emeline Michel, Eddy François, etc.  

 

 

Pourquoi de belles voix féminines, telles que Queen Bee, Rénette Désir, Tamara Sufren et tant d’autres n’ont toujours pas l’appréciation et la promotion qu’elles méritent et ne sont pas sur les affiches des grands événements culturels ? 

 

Où est passé Jeanjean Roosvelt, lauréat de l’édition 2013 des Jeux de la francophonie en France? 

 

Qui du grand public connaît le grand James Germain? 

 

Que doit encore faire Elie Lapointe pour mériter sa vraie place dans notre HMI ? Autant de questions auxquelles il faudra trouver des réponses dans une société, une industrie musicale où l’effort, le talent, l’art doivent primer car la liste des artistes très talentueux ne bénéficiant pas de l’attention nécessaire est très longue.  

Des jeunes prometteurs, ignorés et découragés, sont pratiquement poussés vers la « retraite anticipée ». Le chanteur Ciyouparadoks en est un exemple flagrant. La jeune artiste Fatima pour sa part tente de résister. 

 

 Quant à Paska, il est constamment victime de campagne de dénigrement et d’harcèlement sur les réseaux sociaux. On se demande toujours pourquoi une telle méchanceté gratuite.

 

Mikaben souffrait du manque de reconnaissance du public 

 

 

Comme Ti Djo Zenny de Kreyol La l’a dit dans une vidéo disponible sur les réseaux sociaux, Mikaben était au bord de la dépression par manque de reconnaissance au niveau du secteur. Richard Cavé a abondé dans le même sens en se demandant pourquoi tout de suite après sa mort, il a eu droit à tous les honneurs et éloges. Cachant à peine sa colère, il a confié que l’artiste vivait des moments difficiles sans entrer dans les détails. Il veut probablement faire référence au lynchage en règle sur les réseaux sociaux dont Mikaben fut l’objet après ses propos jugés déplacés sur ses relations avec la chanteuse Annie Alerte. 

 

Souhaitons que cet événement tragique serve de « plim pou korije kaye Nou » (de leçons), pour répéter l’ex star du groupe Original Rap Staff ( ORS), Top Adlerman afin de valoriser nos artistes de leur vivant. A bien des égards, ces deux artistes se ressemblent beaucoup en termes de versatilités. 

 

100 000 abonnés, l’objectif de Belo qui ne veut pas de « gloire d’outre-tombe »

 

Mikaben a réussi à atteindre le fameux chiffre des 100 000 abonnés sur YouTube seulement après sa mort. L’artiste Belo regrette qu’il ne l’ait pas eu, étant vivant. Dans une publication sur les réseaux sociaux, l’interprète de « Lakou trankil » montre qu’il ne veut pas de cette popularité posthume. Par conséquent, il demande aux internautes de l’aider à avoir ces 100. 000, synonyme de son « Trophée du créateur Argent », avant décembre 2022: 

 

« Mikaben pat gen chans touche plak 100,000 abòne youtube la malgre li te merite l vivan, nou ba li nan 15 jou selman. 

jodia m ap mande chak moun ki poko fèl e ki panse yo ta fè l sim ta mouri: “BelO Haiti” bezwen 100k abone youtube (@belohaiti) avan desanm 2022. 

Mèsi davans

BélO ». Campagne soutenue par son confrère, l’excellent parolier Roosvelt Saillant « BIC » qui, faut-il le préciser, n’a pas encore curieusement atteint ce chiffre, non plus. 

 

A bien réfléchir, il est inconcevable qu’un artiste d’une telle envergure soit obligé de faire campagne pour être suivi, alors que des « influenceurs ou « acteurs de la bêtise » sont plébiscités sur les réseaux.

 

 

 

Espérons que l’exemple de Mikaben pourra faire changer les mentalités en faisant la promotion des vrais talents, valorisant les œuvres de nos artistes et honorant nos « légendes » de leur vivant.

 

Par: Gazette Haïti News

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